Chapitre 8 Item 39 – UE 2 – Orientation diagnostique devant une douleur pelvienne aiguë

I.       Pour comprendre

II.    Orientation diagnostique

________________________________________________________________________________

________________________________________________________________________________

Objectif pédagogique

*  Devant les algies pelviennes chez la femme, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.

__________________________________________________________________________________

Les étiologies des douleurs pelviennes aiguës (DPA) sont nombreuses, d’origine gynécologique, urinaire ou digestive pour la plupart. Du fait de leur gravité potentielle, pouvant engager le pronostic vital de la patiente, le pronostic de l’ovaire ou bien le pronostic de fertilité de la patiente, quatre étiologies sont à évoquer en priorité : grossesse extra-utérine (GEU), torsion d’annexe, infection génitale haute (IGH) et appendicite aiguë.

I Pour comprendre

A Définition

Même si pour certains, une douleur aiguë est une douleur évoluant depuis moins de 6 mois, pour d’autres depuis moins d’une semaine, pour la plupart des auteurs, les douleurs pelviennes aiguës (DPA) correspondent à des douleurs évoluant depuis moins d’un mois. Elles sont localisées au niveau de l’hypogastre et/ou de la fosse iliaque droite et/ou de la fosse iliaque gauche.

B Épidémiologie

De par leur fréquence et/ou leur gravité, quatre diagnostics principaux sont à évoquer en cas de DPA chez la femme : GEU, torsion d’annexe, IGH et appendicite aiguë.

D’autres causes sont possibles et doivent être recherchées. Elles peuvent être d’origine gynécologique (complications des fibromes ou des kystes ovariens), liées à une grossesse (fausse couche spontanée), d’origine urologique (pyélonéphrite, colique néphrétique) voire d’origine rhumatologique. Elles sont résumées dans le tableau 8.1.

Tableau 8.1 Étiologies des douleurs pelviennes aiguës de la femme.

Principales affections responsables de douleurs pelviennes aiguës chez la femme

Étiologies secondaires à une grossesse

Grossesse extra-utérine

Fausse couche spontanée

Rétention post-fausse couche

Endométrite du post-partum ou du post-abortum

Complication de corps jaune gestationnel (corps jaune hémorragique, kyste du corps jaune et ses complications)

Étiologies infectieuses

Infection génitale haute (salpingite, endométrite, pelvipéritonite, abcès tubo-ovarien)

Appendicite

Pyélonéphrite aiguë, infection urinaire basse

Étiologies annexielles

Torsion d’annexe

Complications des kystes ovariens (hémorragie intra-kystique, rupture de kyste, torsion d’annexe)

Dysovulation

Étiologies secondaires à la présence d’un fibrome

Nécrobiose aiguë

Torsion d’un myome sous-séreux pédiculé

Accouchement d’un myome sous-muqueux par le col utérin

Étiologies urologiques

Colique néphrétique

Pyélonéphrite aiguë, infection urinaire basse

Causes rares

Sacro-iléite bactérienne

Ostéite

Anévrisme de l’artère iliaque

Infection d’un kyste de l’ouraque

 

D’après Huchon C. et al. Algies pelviennes aiguës de la femme : orientation diagnostique et conduite à tenir. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Gynécologie, 162-A15, 2010.Dans un quart à près de la moitiés des cas, l’origine de ces DPA n’est pas retrouvée.

C Physiopathologie

L’interprétation sémiologique d’une douleur pelvienne est rendue difficile par la proximité des organes pelviens et par une innervation proche. Trois principales voies efférentes sont en jeu :

         plexus pelvien (vagin, col et isthme utérins, ligaments utéro-sacrés, cul-de-sac de Douglas, bas uretères, trigone vésical, rectosigmoïde) : douleur sacrée ou périnéale ;

         plexus hypogastrique (corps utérin, tiers proximal des trompes, ligament large, calotte vésicale) : douleur hypogastrique ;

         plexus aortique (ovaires, portion distale des trompes, uretères rétroligamentaires) : douleurs en fosse iliaque, flancs et fosses lombaires.

II Orientation diagnostique (figure 8.1)

A Interrogatoire

Il est essentiel et doit apporter toutes les précisions utiles concernant la douleur, en particulier :

         Préciser son caractère aigu, chronique ou cyclique.

         Mesurer son intensité : une échelle numérique verbale allant de 0 à 10 ou une échelle visuelle analogique (EVA) sont fréquemment utilisées. La mesure de l’intensité de la douleur peut permettre un tri des urgences vitales : ainsi, la douleur est habituellement très intense en cas de torsion d’annexe alors qu’elle sera modérée dans une IGH.

         Décrire son mode de début : un début progressif oriente volontiers vers une IGH ou une appendicite aiguë alors qu’un début brutal doit faire rechercher en priorité une complication « mécanique » de kyste ovarien (rupture, torsion) ou une rupture de GEU.

         Préciser son heure de début et sa durée d’évolution : une douleur d’évolution brève est classique en cas de complication d’un kyste ovarien alors qu’une douleur évoluant depuis plus de 4 jours est en faveur d’une IGH. L’heure de début des douleurs a peu d’importance en termes d’orientation diagnostique, mais a un impact pronostique important en cas de torsion d’annexe.

         Préciser sa topographie : l’orientation topographique de la douleur est rendue difficile par le mode d’innervation des organes pelviens (cf. physiopathologie) :

        cependant, le caractère unilatéral est plus en faveur d’une pathologie annexielle, alors que la douleur est volontiers diffuse à l’ensemble du pelvis en cas d’IGH,

        une douleur avec irradiation lombaire doit faire rechercher en priorité une origine urinaire, mais peut également se voir en cas de torsion d’annexe,

        des scapulalgies doivent faire rechercher un épanchement intrapéritonéal, et en cas de GEU, faire suspecter une rupture tubaire avec hémopéritoine.

         Rechercher des signes associés à la douleur :

        des métrorragies chez une femme enceinte orientent en priorité vers une complication de la grossesse (fausse couche, GEU). Les métrorragies sont fréquentes en cas d’IGH et peuvent masquer des leucorrhées qui, bien que fréquentes, sont inconstantes dans ce contexte,

        un syndrome fébrile : doivent en premier lieu être évoquées appendicite aiguë, IGH et pyélonéphrite. Alors qu’une température normale est rare dans une appendicite aiguë, l’absence d’hyperthermie est fréquente dans les IGH et la normalité de la température ne doit pas faire éliminer ce diagnostic,

        nausées et vomissements sont aspécifiques et peuvent être liés à une pathologie digestive (appendicite aiguë) ou à une origine vagale accompagnant une douleur intense (torsion d’annexe). Un arrêt du transit est volontiers retrouvé en cas d’origine digestive à la douleur, alors que la présence d’un ténesme rectal en cas d’IGH doit faire rechercher un abcès tubo-ovarien (ATO),

        des signes cliniques urinaires sont fréquemment présents en cas d’origine urologique à la douleur, mais peuvent également être présents en cas d’IGH (urétrite associée).

         Rechercher des facteurs favorisants d’une pathologie :

        les facteurs favorisants une IGH sont un antécédent d’infection sexuellement transmissible, des premiers rapports sexuels précoces et un grand nombre de partenaires sexuels. Des manœuvres endo-utérines récentes (aspiration, hystéroscopie, pose de dispositif intra-utérin (DIU), hystérosalpingographie…) peuvent orienter vers une IGH iatrogène,

        les facteurs favorisants une GEU sont un antécédent de GEU, d’IGH et le tabac. Un antécédent de chirurgie tubaire peut augmenter le risque de développer une GEU. L’utilisation d’un DIU peut également orienter vers une GEU,

        les torsions d’annexe sont rares sur annexe saine. L’apparition d’une douleur brutale chez une patiente se sachant porteuse d’un kyste ovarien doit orienter en priorité vers une torsion.

________________________________________________________________________________Figure 8.1

Orientation diagnostique devant une douleur pelvienne aiguë.

__________________________________________________________________________________

B Examen clinique

Il doit rechercher en premier lieu des signes de gravité, car la douleur peut révéler une pathologie mettant en jeu le pronostic vital de la patiente, avant de rechercher la cause de la douleur.

1 Évaluation hémodynamique

Elle doit être effectuée dès la prise en charge initiale de la patiente. Une hémodynamique instable doit faire évoquer un hémopéritoine important. Si l’état clinique de la patiente le permet, une confirmation échographique en urgence doit être réalisée. Sinon, une indication de chirurgie en urgence doit être posée pour traiter un hémopéritoine massif (rupture hémorragique de kyste ovarien, rupture de GEU). La tachycardie précède la chute de la pression artérielle et doit être considérée comme un élément de gravité.

2 Palpation abdominale

Les signes d’irritation péritonéale, la présence d’une défense ou d’une douleur de rebond ne sont pas spécifiques. En cas de test de grossesse positif, cela doit orienter en priorité vers une rupture de GEU avec hémopéritoine et peut justifier une prise en charge chirurgicale en urgence.

En cas de pathologie annexielle, une torsion doit être évoquée en premier lieu.

Dans un contexte d’IGH, ces signes doivent orienter vers une forme compliquée (ATO, pelvipéritonite). En cas de latéralisation à droite, on cherchera une appendicite aiguë.

3 Examen gynécologique

L’examen au spéculum recherche des leucorrhées et/ou métrorragies (cf. signes associés). Des leucorrhées et/ou une cervicite doivent faire évoquer une IGH mais peuvent être absents ; l’IGH peut également être masquée par des métrorragies retrouvées chez près de la moitié des patientes présentant une IGH.

Dans le cas d’une complication d’un kyste ovarien, la douleur est classiquement unilatérale, une masse peut être palpée. En cas de complication de fibromes, la douleur est plutôt médiane, déclenchée à la palpation d’un utérus bosselé, augmenté de taille. La douleur peut néanmoins être latéralisée en cas de torsion d’un myome sous séreux pédiculé.

Le toucher vaginal est capital en cas de suspicion d’IGH. Aucun élément clinique ou paraclinique n’étant pathognomonique de cette pathologie, le diagnostic repose essentiellement sur une douleur provoquée à la palpation ou à la mobilisation utérine. On retrouve également fréquemment une douleur à la palpation annexielle, le plus souvent bilatérale. Dans l’appendicite aiguë, la douleur déclenchée au toucher vaginal reste classiquement latéralisée à droite.

C Examens complémentaires

1 Biologie

hCG

Chez toute femme en période d’activité génitale, un test de grossesse qualitatif est indispensable et doit être effectué en priorité. Négatif, il permet d’éliminer une GEU.

En premier lieu, un test qualitatif urinaire peut être réalisé. Ces tests ont l’avantage d’une bonne sensibilité et d’une bonne spécificité pour un coût réduit.

Le dosage quantitatif plasmatique des hCG a son intérêt dans l’interprétation d’une vacuité utérine à l’échographie dans un contexte de grossesse de localisation indéterminée. En effet, le seuil de visibilité échographique d’une grossesse intra-utérine classiquement retenu est de 1 500 IU/mL. Au-delà de ce seuil, une GEU doit être très fortement suspectée. Si le taux est inférieur à ce seuil, et la patiente paucisymptomatique, une surveillance ambulatoire avec contrôle de l’évolution de la cinétique des hCG plasmatiques quantitatifs à 48 h sera mise en place pour distinguer une grossesse intra-utérine évolutive d’une grossesse intra-utérine arrêtée ou d’une GEU.

Numération-formule sanguine (NFS)

L’hyperleucocytose est quasi constante en cas d’appendicite aiguë alors qu’elle est fréquemment absente dans les IGH simple (une hyperleucocytose en cas d’IGH doit faire rechercher une forme compliquée). Pouvant aussi témoigner d’une nécrose, une hyperleucytose peut être rarement retrouvée en cas de torsion d’annexe.

L’anémie oriente vers un hémopéritoine et l’évaluation du taux d’hémoglobine est capitale dans la prise en charge de l’hémopéritoine (transfusion ?).

Protéine C-réactive

Traduisant un syndrome inflammatoire, elle est fréquemment augmentée en cas de pathologie infectieuse (IGH ou appendicite aiguë). Néanmoins, sa normalité n’élimine ni l’un ni l’autre de ces diagnostics.

Une élévation importante en cas d’IGH est corrélée à la présence d’une forme compliquée d’un ATO.

2 Bactériologie

Les prélèvements bactériologiques (prélèvements vaginaux et endocervicaux, avec mise en culture et techniques d’amplification des acides nucléiques pour recherche de gonocoque, Chlamydia trachomatis et Mycoplasma genitalium) sont indispensables en cas de suspicion d’IGH. En cas de présence d’un DIU dans un contexte d’IGH, une ablation est recommandée avec analyse bactériologique de celui-ci.

3 Bandelette urinaire

Elle est indispensable orientant vers une pathologie urinaire infectieuse en cas de présence de nitrites et d’une leucocyturie. Elle oriente vers une colique néphrétique en cas d’hématurie.

4 Échographie

C’est l’examen morphologique de choix dans les DPA.

En cas d’instabilité hémodynamique et de suspicion d’hémopéritoine, elle doit être réalisée en urgence afin de le confirmer. Néanmoins, sa réalisation ne doit pas retarder une prise en charge chirurgicale urgente.

Dans le cas de l’appendicite aiguë, elle peut être utile mais reste opérateur-dépendant. Devant une hématurie à la bandelette urinaire, une échographie des voies urinaires doit être réalisée.

Dans le cas des pathologies gynécologiques, elle est réalisée par voie abdominale et par voie endovaginale (sauf chez les patientes n’ayant jamais eu de rapports sexuels).

Dans le cadre d’une DPA d’origine annexielle, une image annexielle pathologique est le plus souvent retrouvée. Les torsions sur annexe saine sont rares. En cas de rupture de kyste ovarien, un épanchement pelvien est recherché.

L’échographie est indispensable dans la prise en charge d’une IGH. Elle peut montrer des signes positifs (épaississement de la paroi tubaire, épanchement intratubaire, etc…) mais leur présence est inconstante. Elle reste néanmoins indispensable pour rechercher une forme compliquée (ATO) dont la taille pourra faire poser l’indication d’un drainage.

Couplée à la biologie, l’échographie est essentielle à la prise en charge d’une GEU. Elle recherche une grossesse intra-utérine évolutive (signée par la présence d’une vésicule vitelline ou d’un embryon dans un sac gestationnel intra-utérin). En cas d’absence de cette image, avec un taux d’hCG plasmatiques supérieur à 1 500 UI/mL, une GEU doit être recherchée. Les signes directs sont la visualisation d’un sac extra-utérin avec éventuellement un embryon. Les signes indirects sont la présence d’une masse latéro-utérine témoignant d’un hématosalpinx, un hémopéritoine et un utérus vide.

L’échographie est également l’élément essentiel qui pourra orienter vers une complication de fibrome utérin.

5 Doppler

L’effet Doppler est associé à l’échographie. Les flux Doppler peuvent être modifiés au niveau des artères utérines en cas d’IGH. Cependant, son intérêt est plus classique dans les torsions d’annexe. En cas de suspicion de torsion d’annexe, un arrêt des flux signe une torsion. Cependant, la persistance d’un flux n’élimine pas le diagnostic de torsion (interruptions veineuses).

6 Doutes diagnostiques

Histologie : biopsie d’endomètre

En cas de doute diagnostique entre une grossesse arrêtée et une GEU, la recherche de villosités choriales peut éliminer une GEU si cette recherche est positive.

En cas de suspicion d’IGH avec une forme pauci symptomatique et de doute diagnostique, des signes histologiques d’endométrite peuvent être recherchés.

Tomodensitométrie abdomino-pelvienne

Cet examen peut être utile dans les cas de doute entre une IGH et une appendicite aiguë dans un contexte de douleurs fébriles de la fosse iliaque droite. Dans le cas d’un doute sur un ATO compliquant une IGH, cet examen peut également être effectué.

Cœlioscopie

Même si elle reste largement au centre de leurs traitements, la cœlioscopie n’a plus de place en première ligne dans les explorations des DPA. Elle peut néanmoins être utile en cas de doute diagnostique d’une IGH ou d’une appendicite aiguë. Sa réalisation est également possible en cas de mauvaise évolution en cours de traitement médical d’une IGH.

________________________________________________________________________________

Points clés

         La torsion d’annexe :

        douleur intense de début brutal,

        vomissements, défense abdominale,

        échographie : pathologie annexielle,

        cœlioscopie : diagnostic de certitude et traitement.

         L’infection génitale haute :

        infection de l’ensemble du pelvis : endomètre + trompe droite + trompe gauche,

        infection sexuellement transmissible dans la plupart des cas,

        aucun élément clinique ou paraclinique pathognomonique,

        douleur au toucher vaginal (douleur à la mobilisation utérine et/ou à la palpation annexielle),

        traitement médical dans les formes non compliquées, drainage des abcès si forme compliquée.

         La grossesse extra-utérine :

        diagnostic à éliminer devant toute DPA chez une femme en âge de procréer : hCG,

        instabilité hémodynamique : chirurgie en urgence,

        diagnostic = couple hCG plasmatiques quantitatifs/échographie.

__________________________________________________________________________________